Publié le 03/10/2024

Le coefficient de neutralisation va-t-il disparaître ?

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Introduit avec la révision de la valeur locative des locaux professionnels (RVLLP), le coefficient de neutralisation est, avec le mécanisme du planchonnement et celui du lissage, l’un des trois mécanismes atténuateurs qui permettent de limiter l’impact de la hausse de la taxe foncière à la suite de la mise en place de la réforme de 2017.

I. Qu’est-ce que le mécanisme du coefficient de neutralisation ?

L’intérêt de la mise en place d’une révision de la valeur locative des locaux professionnels est une grande arlésienne de la fiscalité locale. Une tentative ratée dans les années 90, et après plusieurs reports, elle est enfin entérinée par l’article 34 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010. Elle entre en vigueur le 1er janvier 2017 avec pour objectif de permettre l’alignement des valeurs locatives sur la situation réelle des marchés locatifs et, par conséquent, de réduire les profondes situations d’inégalité.

Cependant, loin de corriger les erreurs, cette nouvelle méthode de calcul a pu en créer de nouvelles et entraîner une hausse importante des montants de cotisations. Le législateur a cependant voulu en atténuer l’impact en mettant en place, notamment, un coefficient de neutralisation.

Le coefficient de neutralisation est explicité au sein de l’article 1518 A quinquies du Code Général des Impôts (CGI) :

« I. – 1. En vue de l’établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe d’habitation et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la valeur locative des propriétés bâties mentionnées au I de l’article 1498 est corrigée par un coefficient de neutralisation. Ce coefficient est égal, pour chaque taxe et chaque collectivité territoriale, au rapport entre, d’une part, la somme des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 des propriétés bâties mentionnées au même I de l’article 1498 imposables au titre de cette année dans son ressort territorial, à l’exception de celles mentionnées au 2 du présent I, et, d’autre part, la somme des valeurs locatives révisées de ces mêmes propriétés à la date de référence du 1er janvier 2013. Le coefficient de neutralisation déterminé pour chacune de ces taxes s’applique également pour l’établissement de leurs taxes annexes. Les coefficients déterminés pour une commune s’appliquent aux bases imposées au profit des établissements publics de coopération intercommunale dont elle est membre. (…) II. – Le I du présent article cesse de s’appliquer l’année de la prise en compte, pour l’établissement des bases, de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation et des locaux servant à l’exercice d’une activité salariée à domicile prévue au B du II de l’article 74 de la loi n° 2013-1279 du 29/12/2013 de finances rectificative pour 2013. (…) »

Pour résumer, la formule qui découle de cet article est la suivante :

L’objectif du coefficient de neutralisation est simple : maintenir les proportions des locaux professionnels et des locaux d’habitation dans l’assiette des taxes locales.

Il était prévu que l’application des coefficients de neutralisation cesserait lors de l’entrée en vigueur de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, car ce dernier pourrait figer, sur le long terme, des valeurs de potentiels fiscaux obsolètes et engendrer durablement des déséquilibres voire des iniquités.

II. Le coefficient de neutralisation pourrait-il disparaître ?

La loi a prévu un dispositif de neutralisation visant à contenir les effets de la révision des locaux professionnels en attendant celle des locaux d’habitation, pour qu’un « rebasage » des taux vienne ainsi conclure le processus de révision.

Initialement prévue en 2026, la révision de la valeur locative des locaux d’habitation interviendra finalement en 2028 (sous réserve d’un nouveau report). Si, initialement, la loi prévoyait l’extinction du mécanisme du coefficient de neutralisation pour les locaux commerciaux à l’apparition de celui prévu pour les locaux d’habitation, il est légitime de se demander si le coefficient de neutralisation sera maintenu jusqu’au 1er janvier 2027.

Si l’article 106 de la loi de finances pour 2023 n’explique pas de manière très loquace les raisons d’un tel décalage de deux ans, l’article 146-V-B de la loi de finances pour 2020 explicite que :

« En vue de l’établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la contribution foncière des entreprises, de la taxe mentionnée à l’article 1407 du code général des impôts et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la valeur locative des propriétés mentionnées au I du présent article est corrigée par un coefficient de neutralisation. Ce coefficient est égal, pour chaque taxe et chaque collectivité territoriale, au rapport entre, d’une part, la somme des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2026 des propriétés mentionnées au même I imposables au titre de cette année dans le ressort territorial de cette collectivité et, d’autre part, la somme des valeurs locatives révisées de ces mêmes propriétés à la même date. Le coefficient de neutralisation déterminé pour chacune de ces taxes s’applique également pour l’établissement de leurs taxes annexes. Les coefficients déterminés pour une commune s’appliquent aux bases imposées au profit des établissements publics de coopération intercommunale dont elle est membre. »

Il découle donc de ces dispositions trois étapes fondamentales :

  1. Via « Gérer mes Biens Immobiliers » (GMBI), les propriétaires de locaux d’habitation ont dû déclarer l’ensemble de leurs locaux.
  2. À partir des déclarations (comme cela avait été réalisé pour la RVLLP), le gouvernement aurait dû remettre au parlement, avant le 1er septembre 2024, un rapport sur l’impact de la révision. Ce rapport aurait dû notamment prévoir les conditions de mise en place et de sortie des dispositifs de neutralisation (la situation politique étant instable, un tel rapport n’a pas pu être transmis pour l’instant).
  3. En 2025, les commissions départementales des valeurs locatives devraient arrêter les secteurs géographiques, les tarifs et les coefficients de localisation qui seront utilisés pour établir les bases d’imposition au 1er janvier 2026 (et désormais au 1er janvier 2028).

Le sujet particulièrement délicat de la fiscalité locale subit de plein fouet l’impact des problématiques politiques.

Le coefficient de neutralisation devait initialement disparaître comme la loi le prévoyait. En effet, selon l’article 1518 A quinquies – II, la correction des valeurs locatives des propriétés bâties par un coefficient de neutralisation cesserait de s’appliquer l’année de prise en compte au niveau des bases d’imposition de la RVLLH. Mais les modalités de sa suppression n’ont pour l’instant pas encore été clarifiées.

Il convient de rester attentif sur la suite qui sera donnée en matière de réforme de la valeur locative.

III. Quel potentiel impact sur les cotisations de taxe foncière ?

Il est donc logique de considérer, en s’appuyant sur les lettres de la loi, que la première conséquence de l’entrée en vigueur future de la RVLLH sera que la valeur locative brute des locaux professionnels sera prise en compte intégralement, car elle ne serait plus neutralisée.

Une telle situation entraînerait mécaniquement une hausse sévère de la taxe foncière pour de nombreux propriétaires de locaux commerciaux.

Si un tel mécanisme était maintenu, il convient de se demander quelle serait la part de la taxe foncière des locaux commerciaux par rapport aux locaux d’habitation.

L’impact électoral est colossal.

Cette disparition pourrait avoir un impact sévère pour de nombreuses entreprises, qui pourraient alors connaître une forte hausse de leur fiscalité locale avec une multiplication des bases d’imposition par 3. D’autres, logiquement, à l’inverse, pourraient voir leur imposition diminuer, selon le coefficient de neutralisation appliqué dans leur commune.

Alors oui, le mécanisme de neutralisation a été présenté comme temporaire, mais il est singulier, en l’absence d’éléments de clarification, d’attendre des entreprises qu’elles provisionnent de très grosses sommes en anticipation. Mais c’est un fait, la potentielle suppression du coefficient de neutralisation risque d’être mal vécue par de nombreuses entreprises.

À l’heure actuelle, il n’existe pas de simulateurs permettant de calculer l’impact de la suppression du coefficient de neutralisation.

Cependant, Alfons permet d’anticiper ce cas de figure. Même si la DGFIP peut envisager d’adapter le mécanisme de neutralisation pour l’avenir, il est opportun, dans le doute et pour éviter de subir une hausse trop importante, de se tenir informé, d’analyser ses bases d’imposition avant la fin de la réforme de la valeur locative des locaux professionnels et d’anticiper.